Hold-up à Amsterdam
17/11/2006
Voici un coup du Master Classic d’Amsterdam 2006. Vous allez voir, c’est vraiment un duel de haute voltige, un coup d’un autre monde entre deux champions. Attachez vos ceintures !...
Blinds : 500-1000, antes : 100. Il reste environ 70 joueurs en lice, la moyenne est à un peu moins de 50 000 jetons et nous sommes à la table des deux "chipleaders", l’Anglais Surinder Sunar et le Français Jonathan Fhal, qui sont ont respectivement 99 000 et 113 000. Tout le monde Passe jusqu’à Surinder qui est de Small Blind et relance à 4000. Jonathan Fhal qui est de Big Blind Paye...
Surinder Sunar et Jonathan Fhal : duel au sommet
Les deux joueurs se connaissent et se respectent. Surinder Sunar, l’Anglais aux allures de fakir birman, est un "vieux briscard", aussi à l’aise dans les gros cash games que dans les tournois puisqu’il a notamment remporté le WPT à Paris en 2004. Un palmarès éloquentpour un joueur dont les tics et l’éternelle bouteille de bière cachent une subtilité et une capacité d’analyse hors du commun. Jonathan Fhal, lui, est un brillant jeune joueur, vif, qui sait tout de la technique et de comment s’en écarter avec une grande créativité...
Le Flop arrive : 2 - 4 - 7
Surinder parle le premier et mise 4000 ;
Jonathan observe la situation et relance à 12 000 ;
Sunar réfléchit longuement, hume l’ambiance, scrute son adversaire et....Il relance à 36 000.
Le Français prend à son tour beaucoup de temps....Et il paye !
Il est clair qu’à ce stade, les deux joueurs risquent leur tournoi. Chacun élabore un plan et essaie d’anticiper sur les différentes réactions possibles chez l’adversaire.
Pendant ce temps les spectateurs et les journalistes qui suivent le coup - dont Benjamin Gallen et Arnaud Jullien, que je remercie pour avoir saisi et rapporté les détails de cette main - essaient d’imaginer ce qui se passe : ces deux champions peuvent-ils se mettre ainsi en péril sans avoir un gros jeu, alors qu’ils sont parmi les chipleaders et qu’on est encore loin de la finale ? Qui a quoi ? Assiste-t-on à un bras de fer pour la domination de la table, où l’un des deux, voire les deux, seraient en bluff ?...
Tout le monde retient son souffle alors que la 4ème carte commune arrive sur le tapis :
Turn : 6
Au Turn, on sait qu’il va se passer
quelque chose...Mais quoi ?.
Surinder tape sur la table pour dire : "Check". Cela veut-il dire qu’il était en bluff ? Qu’il a du jeu mais redoute un brelan ? Ou alors qu’il a un jeu énorme et cherche à noyer son adversaire ?
C’est à Jonathan de réagir... Il mise 35 000 !
Il y a maintenant 115 000 jetons sur le tapis. C’est le plus gros pot du tournoi à ce stade...
Surinder Sunar se met à réfléchir. Il est secoué de tics mais semble concentré, plongé dans son analyse, essayant de passer en revue toutes les possibilités. En même temps il dévisage son adversaire, le scrute sur toutes les coutures. Quant à Jonathan, il essaie de rester impassible mais, alors qu’il vient d’engager la plus grosse part de son tapis, on imagine son stress à l’intérieur. Stress qui ne peut qu’augmenter car Surinder réfléchit toujours, depuis plusieurs minutes...4, 5, 6, HUIT MINUTES que cela dure !....
Un joueur de la table finit par demander : "TIME !". L’arbitre arrive et énonce la règle : Surinder n’a plus qu’une minute pour prendre une décision, faute de quoi il sera déclaré hors du coup.
Surinder réfléchit, observe...
Jonathan joue-t-il la comédie ?
Surinder Sunar grimace. Il n’a pas l’air de vouloir lâcher. Mais il se résigne et finalement... Il jette ses cartes !
Immense soulagement chez Jonathan Fhal qui montre...
D5
Un BLUFF TOTAL ! Et un coup de massue pour Surinder Sunar qui se tasse sur son siège.
L’Anglais ne s’en relèvera pas et sera éliminé en 28ème position. Jonathan, lui, se fraiera un chemin jusqu’en table finale et terminera 6ème du Master Classic d’Amsterdam. Il aura quelques regrets car, dira-t-il modestement quand on le félicitera pour ce bluff magnifique : "....Il faut aussi parler de ma déglingue en finale où j’ai cru bon d’être l’attaquant au lieu de rester tranquillement derrière mes jetons."
Je n’ai pas vu la finale mais ce coup qu’il a réussi, avec D-5 dépareillés contre un joueur de la trempe de Surinder, est digne d’entrer dans la légende No Limit Hold’em. Relisez-le encore et encore, étudiez-le à fond et vous arriverez probablement à la même conclusion que moi : sa manoeuvre était risquée mais sa réussite ne doit rien au hasard !
Que pensez-vous de la manière dont Jonathan Fhal a conduit le coup ? Quel a été son raisonnement ? Quelles pouvaient bien être les cartes de Surinder (que personne n’a vu sauf lui) ?
MIK.22